Joseph-Ferdinand Cheval, dit “le facteur Cheval”

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Par Frédéric Legros, directeur du Palais idéal du facteur Cheval


Né en 1836 à Charmes-sur-l’Herbasse dans une modeste famille paysanne de la Drôme, Joseph-Ferdinand Cheval fréquente l’école durant seulement six années, entre l’âge de 6 et 12 ans. Devenu ensuite apprenti boulanger loin de son village natal, il reviendra dans sa région pour y prendre le poste de facteur rural, fonction qu’il occupera durant près de trente ans. Entre 1879 et 1912, il élèvera seul, la nuit à la lumière de la bougie, un immense « Palais idéal » à partir de pierres collectées sur les chemins de ses tournées.

« Si la Nature veut faire la sculpture, je me ferai architecte et maçon »

Affecté en 1869 à la tournée de Hauterives, il effectue chaque jour une tournée quotidienne de 32 à 42 kilomètres à pied. A propos de ces longues marches solitaires il écrira plus tard : « Que faire ? En marchant perpétuellement dans le même décor à moins que l’on ne songe. C’est justement ce que je faisais ; je songeais […] pour distraire mes pensées, je construisais en rêve, un Palais féérique dépassant l’imagination ». Durant une dizaine d’années, ses nombreuses lectures mais aussi l’inspiration puisée dans la nature environnante nourrissent dans son imagination le rêve d’un Palais idéal. Un jour de printemps 1879, alors que le facteur est âgé de 43 ans, la rencontre avec la première pierre de cet édifice projette définitivement son rêve dans la réalité. Ferdinand Cheval trébuche sur une pierre à demi enterrée dans le sol : interpelé par la forme extraordinaire de cette pierre, dessinée par les sillons creusés par le passage de l’eau, le facteur l’emporte avec lui et se met ainsi à collecter d’autres pierres aux formes étranges. Cet épisode fondateur de l’histoire du Palais idéal, que le facteur racontera très volontiers aux nombreux journalistes qui feront le récit de sa vie, marque le début de la longue et patiente construction du Palais idéal qui s’achèvera trente-trois ans plus tard en 1912.

L’homme et son image

Animé très tôt par le désir de partager le Palais idéal avec ses visiteurs, le facteur Cheval décide d’ouvrir dès 1905 les portes de son jardin au public. Il met en place une billetterie, un espace dédié à la vente de cartes postales qu’il fait éditer de son Palais idéal et installe un Livre d’or dans lequel il demande à ses visiteurs déjà nombreux de laisser leur signature. Conscient du pouvoir des images, il s’insurge contre Louis Charvat, photographe qui vendait des cartes postales du Palais idéal chez des commerçants locaux. Au terme de deux procès, en 1906 et 1907 il revendique son droit d’auteur et entend gérer seul l’image de son travail : Palais idéal et facteur Cheval apparaissent ensemble sur les photographies et sont dès lors indissociables.

Baptisé dans un premier temps le « Temple de la Nature », puis les « Grottes », le monument prend le nom de « Palais idéal » à la suite d’un poème de Emile Roux-Parassac intitulé « Ton Idéal, Ton Palais » et dédié au facteur Cheval.

Les inspirations

Si le Palais idéal est un monument incarné, il est aussi profondément livresque et philosophique. N’ayant jamais voyagé, Ferdinand Cheval puise son inspiration dans les premières revues illustrées auxquelles il est abonné, en particulier le Magasin Pittoresque dans lequel il découvre de grandes gravures en pleine page figurant des images de pays lointains, de Mosquées, de temples Hindous, de chalets Suisses, de flamants roses ou encore d’éléphants. Ferdinand Cheval collectionne les pierres et les images, et assemble peu à peu dans le Palais idéal ce qui compose la richesse du monde, imaginant ainsi un véritable message de fraternité entre les peuples.

La postérité du facteur Cheval

Dès la fin des années 1920, le Palais idéal exerce une forte attraction auprès des artistes, poètes et écrivains qui viendront tout au long du XXe siècle découvrir cette œuvre unique au monde. Parmi eux Dora Maar, Picasso, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Pablo Neruda, Robert Doisneau, Niki de Saint Phalle, Agnès Varda et beaucoup d’autres. Le Palais idéal sera finalement classé au titre des Monuments Historiques en 1969 sous l’impulsion de Georges Pompidou et grâce à l’obstination d’André Malraux. Si de son vivant Ferdinand Cheval a témoigné d’une vive conscience de sa propre postérité, à travers une brillante gestion de son image de de son histoire, après sa mort en 1924 son image épousera les contours des différents mouvements artistiques qui s’empareront de son histoire – quitte à la dévoyer – en projetant sur l’auteur du Palais idéal l’image d’un personnage étrange, solitaire, incompris ou bien atteint de folie. 

Aujourd’hui considéré comme un génie à bien des titres, artiste, penseur, prodige de la communication et précurseur du béton armé, le facteur Cheval trouve enfin sa pleine et entière reconnaissance.

Crédits images : 

Bannière de la page d’accueil : Le facteur Cheval posant devant son Palais idéal © Collection Palais idéal – Mémoires de la Drôme

Illustration du chapô : Timbre émis pour le centenaire de la mort de Joseph-Ferdinand Cheval. Création et gravure Sophie Beaujard d’après photo portrait Bridgeman Images. © La Poste

Bannière de l’article : Détail architectural extérieur du Palais idéal, photographie de Frédéric Jouhanin © Frédéric Jouhanin – Le Labo

Corps du texte : 

La construction du Palais © Collection Palais idéal – Mémoires de la Drôme

Carte postale d’époque © Collection Palais idéal – Mémoires de la Drôme

Joseph-Ferdinand Cheval avec Philomène, sa seconde épouse, et leur fille Alice © Collection Palais idéal – Mémoires de la Drôme

Bas de page : Détail architectural intérieur du Palais idéal, photographie de Frédéric Jouhanin © Frédéric Jouhanin – Le Labo

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