« Le moment Guizot » et l’affirmation de l’Instruction publique (1832-1848)

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Article de Jean-François Condette, professeur à l’Université de Lille, laboratoire IRHiS (UMR-CNRS 8529)


François Guizot (1787-1874) est trois fois ministre de l’Instruction publique. Il occupe en effet ce poste du 11 octobre 1832 au 10 novembre 1834 puis du 18 novembre 1834 au 22 février 1836 et enfin du 6 septembre 1836 au 15 avril 1837. Après ce long ministère, il devient ministre des Affaires étrangères (octobre 1840-février 1848) et président du Conseil des ministres (septembre 1847-février 1848).

Développer l’école primaire pour les enfants du peuple

À la tête du ministère, il réalise une œuvre très importante, affirmant les prérogatives de l’État sur l’enseignement, en particulier primaire, qui relevait jusqu’alors essentiellement d’initiatives locales. « Le moment Guizot » (selon la formule employée par l’historien Pierre Rosanvallon) correspond à un temps fort de l’histoire scolaire, la monarchie ayant bien compris que l’École est un outil efficace de contrôle des esprits. François Guizot s’intéresse prioritairement à l’enseignement primaire destiné aux enfants du peuple. La loi du 28 juin 1833 reconnaît la liberté de l’enseignement primaire (il existe un enseignement public mais aussi un enseignement privé) et oblige chaque commune à ouvrir une école primaire de garçons (donc également à recruter un maître). Guizot n’impose pas l’obligation scolaire pour les élèves mais pour les communes, chaque père de famille conservant le choix d’y inscrire ou non son enfant. La loi crée dans les communes de plus de 6000 habitants, une école primaire supérieure qui doit permettre aux élèves doués et dont les parents ne requièrent pas immédiatement le travail, de poursuivre leurs études en préparant divers brevets.

L’affirmation des prérogatives de l’État dans l’organisation de l’enseignement primaire

François Guizot souhaite développer l’efficacité de l’école primaire. Il décide, par le règlement concernant les écoles normales du 14 décembre 1832, de préciser l’organisation des études dans les écoles normales primaires qui se sont ouvertes peu à peu (la première à Strasbourg en 1810 ; il y en a 47 juste avant la loi de 1833). Le concours d’entrée est strictement défini ainsi que l’organisation des études et les programmes. La vie scolaire quotidienne est normée, la religion y jouant un rôle important. La loi du 28 juin 1833 impose ensuite à chaque département d’ouvrir une école normale de garçons. L’État précise les programmes du primaire et définit une doctrine pédagogique. Contre la vieille méthode individuelle, peu efficace, contre la méthode mutuelle venue d’Angleterre après 1815, et qui repose sur la division en groupes de niveau confiés à des élèves moniteurs, François Guizot fait le choix de la méthode simultanée, qui préconise la constitution de groupes d’âges et de niveaux homogènes formant une classe confiée à un maître. Son fidèle homme de l’ombre, Paul Lorain (1799-1861), professeur à Louis-le-Grand puis proviseur du lycée Saint-Louis avant d’être recteur, précise la doctrine pédagogique du régime. Il publie avec Louis Lamotte un Manuel complet de l’enseignement simultané (1837) et un autre ouvrage montrant les limites de la méthode mutuelle. Le Journal d’instruction primaire, dont le premier numéro date de novembre 1830, se transforme en 1832, sous l’influence de Guizot, en Manuel général de l’instruction primaire, diffusant chaque mois dans les écoles, les principaux textes officiels et des conseils pédagogiques. Pour vérifier l’application des décisions et pour conseiller les maîtres, François Guizot crée, par l’ordonnance du 26 février 1835, le corps des inspecteurs primaires.

Effets et limites de l’œuvre scolaire de François Guizot

Conscient des difficultés pratiques d’application des textes législatifs, il écrit une lettre-circulaire, le 18 juillet 1833, à chaque instituteur pour bien montrer la noblesse de leur mission, et diligente une vaste enquête à l’automne 1833, mobilisant 490 inspecteurs temporaires pour visiter les écoles de France et lui dresser la situation précise de l’enseignement. Elle montre certes les progrès accomplis mais aussi l’immensité de l’effort à réaliser. La loi Guizot accélère la scolarisation des enfants et si l’on compte 10439 communes sans école en 1832, elles ne sont plus que 3213 en 1847. François Guizot, c’est une des limites de son œuvre, s’intéresse moins à l’enseignement primaire féminin, qui demeure en retrait, la mixité étant constamment dénoncée. L’ordonnance du 23 juin 1836 n’impose pas l’obligation pour la commune d’avoir aussi une école de filles. La condition matérielle des maîtres et des maîtresses demeure difficile, avec de faibles traitements et une surveillance très forte du maire, du curé du village et du comité d’arrondissement.

Dans l’enseignement secondaire, réservé à une élite sociale qui peut payer à la fois la scolarité et les frais de pensions en collège ou en lycée (collège royal), filière déjà très cadrée par l’État, François Guizot n’opère pas de changement majeur, même s’il fait préciser certains programmes et renforce le nombre des collèges royaux (38 en 1830 et 56 en 1848). Cette filière secondaire dispose de son primaire spécifique (« les petites classes des lycées et collèges, avant la 6ème). Dans le supérieur, après un fort temps de réaction sous la Restauration, François Guizot desserre quelque peu l’étreinte politique mais les facultés, sauf à la Sorbonne, demeurent de petites entités dotées de peu de moyens, même si la monarchie de Juillet autorise la réouverture de quelques facultés.

À lire :

Jean-Michel CHAPOULIE, L’École d’État conquiert la France. Deux siècles de politique scolaire, Rennes, PUR, 2010.

Jean-Noël LUC, Jean-François CONDETTE, et Yves VERNEUIL, Histoire de l’enseignement en France (XIXe –XXIe siècle), Paris, Armand Colin, 2020.

Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985.

Laurent THEIS, François Guizot, Paris, Fayard, 2008.

 

Crédits images : 

Jean Paul Louis Martin des Amoignes, La classe, 1886 © Wikimedia Commons 

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