Les ambassadeurs de Siam à Fontainebleau

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Une oeuvre de Jean-Léon Gérôme, présentée par Yves Bruley, Correspondant de l’Institut, Académie des sciences morales et politiques


Grande effervescence au château de Fontainebleau en cet après-midi du 27 juin 1861. Toute la cour impériale doit recevoir solennellement, pour la première fois, une ambassade envoyée en France par le roi de Siam, Phra Chom Klao, appelé aussi Mongkut, et connu de nos jours sous le nom de Rama IV. Le cérémonial oriental est tellement spectaculaire que le peintre Jean-Léon Gérôme, toujours avide de pittoresque oriental, immortalisera la scène dans l’un de ses plus fameux tableaux. La toile marquera les esprits au point de devenir l’une des représentations emblématiques du Second Empire tout entier. Symboliquement, Napoléon III se hisse au niveau de Louis XIV, qui avait reçu des ambassadeurs de Siam à Versailles en 1686 – les gravures de cette époque inspireront Gérôme pour la disposition générale de la scène. Mais pourquoi une telle ambassade en 1861 ?

L’ouverture diplomatique du Siam

L’histoire commence en 1851 avec l’avènement du roi Mongkut (1804-1868). Soucieux d’ouvrir son pays à la modernité occidentale et au commerce mondial tout en le préservant des appétits coloniaux, le souverain cherche à nouer des liens avec les grandes puissances européennes. Il signe un traité de commerce avec l’Angleterre en 1855 et l’année suivante avec la France, qui ouvre un consulat à Bangkok. Le roi souhaite envoyer en France une ambassade prestigieuse, à l’image de celle de 1686. Mais les Britanniques prennent les devants et invitent en premier les représentants de Siam à Londres, où ils sont reçus en grande pompe par la reine Victoria le 5 décembre 1857. La France ne peut faire moins, sous peine de déchoir. Une grande ambassade sera donc organisée. En février 1861,  27 Siamois de la plus haute noblesse embarquent à bord d’un bâtiment de guerre français. Ils arrivent à Toulon quatre mois plus tard, et sont à Paris le 15 juin. La réception officielle aura lieu le 27 à Fontainebleau, où séjourne alors la cour.

Une question de protocole se pose. Faut-il recevoir ces ambassadeurs selon l’usage diplomatique européen, ou suivre le protocole siamois, comme le préconise le consul de France à Bangkok ? En présence d’un souverain, écrit-il, « l’usage à Siam est, pour les Siamois, de se coucher à plat ventre dès la porte de la salle de réception et de se traîner ainsi jusqu’au pied du trône. Les frères et les enfants du roi sont, comme les autres, soumis à cette formalité. Cet usage répugnera peut-être à Paris, mais il a été admis à Londres [en 1857] et il serait à craindre qu’une différence, à cet égard, ne fut regardée dans l’Indo-Chine comme une preuve d’infériorité du souverain. »

La réception par Napoléon III

Impossible de faire moins que devant la reine Victoria : les ambassadeurs entreront donc à plat ventre dans la grande salle de bal, dite de Henri II, somptueusement préparée. L’empereur, l’impératrice et le prince impérial se tiennent sur une estrade surmontée d’un dais. Les présents, bien visibles sur le tableau de Gérôme, sont disposés sur des tables. À cinq heures du soir, les Siamois entrent accompagnés de l’abbé Larnaudie, missionnaire français et interprète (en soutane noire). Les trois ambassadeurs s’avancent, avec le jeune fils de l’un d’entre eux, puis les secrétaires. Gérôme représente le moment où le premier ambassadeur remet à l’Empereur une coupe d’or contenant la lettre officielle du roi de Siam, gravée en langue thaïe sur une feuille d’or pliée.

Le séjour des Siamois se prolonge pendant deux mois, où de multiples visites leur révèlent une France en pleine révolution industrielle et à la pointe de la modernité technique, scientifique, culturelle. Une seconde ambassade viendra à Paris en 1867, pour l’Exposition universelle. Mais sur le plan diplomatique, malgré ce déploiement de faste, l’effet de la visite de 1861 sera limité. En effet, la France a décidé de s’emparer de Saïgon puis d’établir son protectorat sur le Cambodge, politique incompatible avec une diplomatie française efficace à Bangkok.

Finalement, en montrant les ambassadeurs de Siam dans une position de soumission, le tableau donne une idée fausse de la politique française dans ce pays. En effet, les Siamois et les Français ont noué des relations diplomatiques dans un esprit pacifique et constructif, non dans une logique de domination. Mais avec son talent, Gérôme a su renvoyer une image valorisante du règne de Napoléon III : fastueux, festif, splendide, spectaculaire, mais aussi supposé puissant, capable d’une « grande politique » mondiale.

Jean-Léon Gérôme, L’Audience des ambassadeurs siamois par Napoléon III dans la salle de Bal au château de Fontainebleau, le 27 juin 1861, 1864. Huile sur toile. Dim. (H X L cm) : 128 x 260 © WikiCommons / Musée du Château de Versailles.

À lire :

Le Siam à Fontainebleau. L’ambassade du 27 juin 1861, Éditions RMN-Grand Palais, 2011.

Dominique LE BAS, « La venue de l’ambassade siamoise en France en 1861 », Aséanie, n°3, mai 1999.

Yves BRULEY, La diplomatie du Sphinx. Napoléon III et sa politique internationale, Paris, CLD, 2015 

Yves BRULEY, « L’invention d’une diplomatie moderne ? Le Second Empire et le Siam », en ligne sur le site de la Fondation Napoléon : https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/linvention-dune-diplomatie-moderne-le-second-empire-et-le-siam-1851-1861/

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