Le Roman de Renart

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Le titre du Roman de Renart est quelque peu surprenant pour nous autres contemporains. En effet, la collection de textes réunis sous ce nom n’est en aucun cas un roman, du moins comme nous l’entendons.

Un récit en langue romane

Le Roman de Renart est de fait constitué d’une vingtaine de récits, nommés « branches » par les auteurs, textes de relativement petite taille, écrits en couples d’octosyllabes, comme c’est alors le plus souvent le cas à l’époque (on retrouve le même genre de versification dans les romans de Chrétien de Troyes par exemple), variant d’une centaine de vers à plusieurs milliers pour les plus longs. Si les épisodes sont souvent liés entre eux (tel crime de Renart dans une branche va ainsi être évoqué dans une autre branche), ils sont assez autonomes, et aucun des quatorze manuscrits conservés (auxquels il faut adjoindre seize fragments) ne nous propose l’intégralité des vingt-six branches établies par la critique. Il n’existe donc aucun roman exposant l’ensemble des aventures de Renart dans un ordre chronologique. Dès lors, pourquoi ce mot de « roman » ? Il renvoie davantage à des enjeux linguistiques que littéraires, puisqu’à l’époque, la « langue romane », à l’origine de notre français, est ce qui s’oppose à la langue latine, qui demeure celle de l’Église. Le Roman de Renart signifie donc avant tout « histoire de Renart écrite en langue romane ».

Renart le goupil

L’autre tromperie de ce titre est justement ce mot de « Renart », avec un — t final. En effet, dans la langue médiévale, ce mot ne fait pas (encore) référence à l’animal roux. Le terme en ancien français est « goupil », issu du latin vulpes. Renart est en fait un prénom : il est issu du patronyme germanique Reinhard. Dès le milieu du XIe siècle, le poète Nivard de Gand utilise ce nom dans l’Ysengrimus, qui oppose un loup (Ysengrimus, à l’origine de notre Ysengrin) en guerre contre un renard du nom de… Reinardus. Le Roman de Renart est un héritier de ce texte, dont beaucoup de ses aventures sont issues. Renart est donc le patronyme du protagoniste de ces différentes branches. Or, ces récits vont devenir si populaires que ce nom va éclipser le mot « goupil », le remplaçant pour désigner cette espèce de canidé. Un très joli cas de paronomase (lorsqu’un nom propre devient un nom commun), preuve du succès de ce « roman », dont la rédaction couvre la fin du XIIe siècle jusqu’au XIIIe siècle. Autre évidence de ce succès : à la même époque Béroul, auteur d’une des premières versions françaises de Tristan et Yseut, nous dit de son héros qu’il s’y connaissait bien en Maupertuis, c’est-à-dire en ruse. En effet, Maupertuis est la demeure de Renart.

Une satire de la société médiévale ?

Ce dernier est bien un goupil possédant un château fortifié. Dans le Roman les animaux ont un comportement très aristocratique : ils se déclarent la guerre, réclament justice auprès du roi… Beaucoup y voient une satire, même si, dans d’autres passages, Renart et ses comparses (Ysengrin le loup, Brun l’ours, Tybert le chat, Noble le lion, pour citer les plus connus) sont plus représentés comme n’importe quel animal à quatre pattes, à ceci près qu’ils disposent de la parole. La parole et ses pouvoirs sont d’ailleurs un des grands enjeux du Roman de Renart. Le goupil, menteur par excellence et maître des mots, ne cesse de jouer avec ceux-ci, semant nécessairement le trouble à une époque où elle tient une place de choix, que l’on pense aux différents serments ou encore aux prêches. Pour sa part, l’historien Jacques Le Goff avait défini cette œuvre comme « l’épopée de la ruse et de la faim » : en effet, la faim occupe un rôle central dans ces textes. Elle est souvent l’origine des récits : Renart doit régulièrement quitter son foyer afin de trouver un subterfuge pour nourrir femme et enfants. Il ne faudrait pas y voir pour autant la retranscription d’une réalité médiévale : le XIIe et le XIIIe siècles sont au contraire une époque de prospérité économique, où les famines sont rares. Il s’agit plutôt de montrer la puissance des appétits et désirs, quels qu’ils soient.

Fortune de l’oeuvre

Si le Roman est présent dans un nombre relativement restreint de manuscrits, sa postérité n’en est pas moins immense. Le texte sera quelque peu oublié après la Renaissance, comme c’est souvent le cas pour la littérature médiévale, mais il est sans cesse réadapté tout au long du Moyen Âge. L’oeuvre devient ainsi plus franchement satirique, notamment sous la plume du poète Rutebeuf qui écrit Renart le Bestourné, attaque féroce contre les ordres mendiants, ou plus allégorique, Renart se faisant l’incarnation même du mal avec Renart le Novel, de Jacquemart Gielee. Le succès est également européen : dès la fin du XIIe siècle existe une version allemande, Reinhart Fuchs, par l’alsacien Heinrich der Glïchezäre, qui réunit les premières branches en un seul poème cohérent composé de seize récits. Au milieu du XIIIe siècle, un certain Willem publie une version flamande, Van den vos Reynaerde, qui sera adaptée en Scandinavie et en Angleterre. En 1941, ce texte sera même transposé pour les enfants dans une visée antisémite… De nos jours, le fourbe goupil n’a pas disparu : il est encore présent dans les manuels scolaires (notamment pour les classes de 6e), mais aussi dans la culture populaire. Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou auteurs de la bande dessinée De Capes et de Crocs (1995-2016), nomment un de leur héros, un renard anthropomorphe, Armand Raynal de Maupertuis. Quant à Walt Disney, il a donné les traits du célèbre goupil à un autre héros médiéval, Robin des Bois.

À lire :

Édition du Roman de Renart

Le Roman de Renart, éd. et trad. Jean Dufournet, Laurence Harf-Lancner, Marie-Thérèse de Medeiros et Jean Subrenat,, Paris, Honoré Champion, Champion Classiques, 2013-2015, 2 vol.

Ouvrages critiques

Jérôme DEVARD, Le Roman de Renart. Le reflet critique de la société médiévale, Paris, L’Harmattan, Historiques, série Travaux, 2010.

Jean SCHEIDEGGER, Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, Genève, Librairie Droz, 1989.

Crédits images : 

Bannière de la page d’accueil :  Peinture, encre et or sur parchemin, détail d’un manuscrit du Roman de Renart, fin du XIIIe siècle © Gallica/BnF

Illustration du chapô : Renart monté sur le dos de l’âne, gravure d’Allart Van Everdingen (Alkmaar, 1621 – Amsterdam, 1675) © WikiCommons/Musée des beaux arts de la ville de Paris (Petit Palais)

Bannière de l’article : Illustration du Roman de Renart par Benjamin Rabier © Gallica/BnF

Corps du texte : 

Le Roman de Renart, manuscrit du XIVe siècle © Gallica/BnF 

Illustration d’Ernest Henri Griset pour Reynard the fox, 1869 © WikiCommons

Deux illustrations du Roman de Renart par Benjamin Rabier © Gallica/BNF

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