Guizot et la renaissance de l’Académie des sciences morales et politiques en 1832

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Article d’Yves Bruley, correspondant de l’Institut, Académie des sciences morales et politiques


« Ancien Président du Conseil, Grand-Croix de la Légion d’Honneur, Membre de l’Institut » : tels sont les titres, parmi tant d’autres possibles, qui figurent sur le faire-part du décès de François Pierre Guillaume Guizot, survenu le 12 septembre 1874. L’historien et homme d’État occupe une place singulière sous la Coupole : il est le seul, depuis la fondation de l’Institut en 1795, à pouvoir être considéré comme « fondateur » de l’une des cinq académies, celle des sciences morales et politiques, dont le rétablissement en octobre 1832 est l’œuvre de ce grand artisan des libertés.

Les biographes le savent : il existe parfois dans la vie des hommes ou des femmes célèbres un acte, un moment, une circonstance où les lignes semblent se croiser et révéler la cohérence d’un destin. Il se pourrait que, dans le cas de François Guizot, cet événement soit la création de l’Académie des sciences morales et politiques, par l’ordonnance du 16 octobre 1832 que promulgua le roi Louis Philippe à l’initiative de son ministre.

Aussi Guizot est-il le seul, depuis que l’Institut de France existe, à pouvoir y être considéré comme un « fondateur » d’académie. Pourtant, lui-même aurait décliné ce titre, car son projet était moins de fonder que de rétablir : il voulait rendre aux sciences morales et politiques la place dont elles avaient été privées par Napoléon.

Compléter l’Institut de France

Fondé par la Première République en 1795, après la suppression des académies royales, l’Institut fut d’abord formé de trois « classes » (le terme d’académie ne sera repris qu’en 1816) : entre la classe des sciences physiques et mathématiques, et celle de la littérature et des beaux-arts, figurait une classe des sciences morales et politiques. Sous le Consulat, Napoléon Bonaparte y comptait de nombreux opposants politiques. Il la supprima en 1803.

Pourquoi François Guizot rétablit-il les sciences morales et politiques au sein de l’Institut en octobre 1832, quelques jours après sa nomination comme ministre de l’Instruction publique ?

D’abord parce qu’il considérait que les disciplines en question avaient atteint la maturité suffisante et « acquis un caractère vraiment scientifique ». De ce fait, pourquoi le tour d’horizon des sciences et des arts, toutes réunies sous la Coupole, n’engloberait-il pas les sciences morales et politiques ? Mais il est un motif plus fondamental.

Des académies libres et utiles

Avant d’être homme politique, Guizot était universitaire. À ses yeux, un gouvernement libre se distingue des régimes autoritaires en ce qu’il ne craint pas la vie intellectuelle, y compris dans les domaines qui touchent de près les institutions, le droit, l’économie, la philosophie, l’histoire – en un mot la politique. Un tel gouvernement doit se montrer « non seulement exempt de toute crainte, mais bienveillant et protecteur pour les travaux de l’esprit humain, aussi bien dans les sciences morales et politiques que dans les autres ». La décision politique de rétablir une Académie des sciences morales et politiques est « une éclatante démonstration de la confiance du pouvoir dans la liberté laborieuse et réfléchie de l’esprit humain ».

L’ordonnance d’octobre 1832, où s’unissent l’engagement politique et la vie intellectuelle de Guizot, révèle la grande cohérence de son action comme de sa pensée. Profondément libéral, il estimait que les libertés politiques et parlementaires ont pour compléments indispensables les libertés intellectuelles. Celles qui s’acquièrent grâce à l’instruction primaire, car tout savoir est émancipateur – on connaît son action en faveur de l’école primaire. Mais aussi les libertés dues aux institutions académiques, y compris pour les sciences morales et politiques qui bénéficieront désormais de l’indépendance garantie à l’Institut de France. Dans cette académie, qui sera d’autant plus utile qu’elle sera libre, le pouvoir « rencontrera plus de secours que de péril » ; il pourra s’appuyer sur elle.

Anciens et nouveaux élus

L’effectif fut fixé à trente-cinq membres, sans compter les associés étrangers et les correspondants. Douze anciens membres de la classe supprimée en 1803 étaient encore vivants en 1832. Ils furent réunis et chargés d’élire par étape les nouveaux académiciens, car Guizot avait refusé toute nomination par le pouvoir politique, absolument contraire au principe d’indépendance : « L’élection est de l’essence des sociétés savantes ; on n’y entre dignement que par le choix de ses pairs. »

François Guizot fut logiquement élu parmi les premiers. Il siégea plus tard également à l’Académie des Inscriptions et belles-lettres et à l’Académie française.

Sur son faire-part de décès, parmi les si nombreux titres accumulés par le grand homme, après ceux d’ « ancien Président du Conseil » et de « Grand-Croix de la Légion d’Honneur », il n’était pas écrit « de l’Académie française » ou « membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres », ni même « membre-fondateur de l’Académie des sciences morales et politiques ». Il fit inscrire le titre qui les surpasse, les inclut et les unit tous : « Membre de l’Institut. »

À lire :

François GUIZOT, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Tome III, Paris, Michel Lévy, 1860.

Émile MIREAUX, « Guizot et la renaissance de l’Académie des sciences morales et politiques », Institut de France – Académie des sciences morales et politiques, séance publique du 2 décembre 1957.

Gabriel de BROGLIE, Guizot, Paris, Perrin, 2002.

Sophie-Anne LETERRIER, L’Institut des sciences morales. L’Académie des sciences morales et politiques. 1795-1850, Paris, L’Harmattan, 1995.

À écouter : 

Les premiers intellectuels de l’Institut vus par Jean Tulard

 

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