Guizot et les lieux de l’histoire

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Article d’Olivier Poncet, professeur à l’École nationale des Chartes, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres


François Guizot avait d’abord connu le succès en tant qu’historien. Nommé professeur à la chaire d’histoire moderne en Sorbonne dès 1812, il mit à profit sous la Restauration l’inactivité forcée que lui imposèrent les différents gouvernements entre 1820 et 1828. En quelques années, il donna ainsi à la fois des ouvrages historiques (dont sa remarquable Histoire de la révolution d’Angleterre de Charles Ier à Charles II, 2 vol., 1826-1827) et de volumineux recueils de textes (Collection de mémoires relatifs à la révolution d’Angleterre, 25 volumes, 1823-1825 ; Collection de mémoires relatifs à l’histoire de France, 30 volumes, 1823-1835).

Un ministre historien tout-puissant

À l’avènement de la Monarchie de Juillet, l’œuvre historique de Guizot était pour ainsi dire achevée. Pour lui, toutefois, l’écriture de l’histoire et le rassemblement de ses sources constituaient une activité complémentaire, voire fondamentale du projet politique d’un « État historien » (Odile Parsis-Barubé). Sa nomination le 11 octobre 1832 au ministère de l’Instruction publique lui permit de rénover et de construire des cadres scientifiques et institutionnels dont la plupart sont toujours bien vivants de nos jours.

Guizot eut pour lui un levier ministériel et une longévité politique remarquables. Demeuré en fonction presque sans interruption jusqu’en avril 1837, il institua une Division des sciences et lettres à laquelle il fit rattacher, entre autres, l’Institut de France, le Collège de France, les bibliothèques publiques, les académies et sociétés littéraires, l’École des chartes ou l’École des langues orientales.

Organiser la recherche des sociétés savantes sur tout le territoire

François Guizot encouragea une France des notables historiens. Il figurait en tête de la liste des vingt premiers membres de la Société de l’histoire de France lors de sa réunion fondatrice le 27 juin 1833. Son objet était de « populariser l’étude et le goût de notre histoire nationale dans une voie de saine critique et surtout par la recherche et l’emploi des documents originaux ». Un arrêté signé Guizot créa le 18 juillet 1834 un comité chargé de « diriger les recherches et les publications de documents inédits à l’aide de fonds votés au budget de l’État ». Tout n’était pas neuf dans ce dernier projet, qui empruntait au Cabinet des chartes du XVIIIe siècle, mais Guizot concevait ce qui devint définitivement en 1881 le Comité des travaux historiques et scientifiques comme un outil de coordination de la recherche historique en France : « Il faut que les sociétés savantes reçoivent du gouvernement, protecteur naturel de l’activité intellectuelle aussi bien que de l’activité matérielle du pays, un encouragement soutenu, que leurs travaux soient effectivement portés à la connaissance du public. »

Éditer des sources et mobiliser les archives

Les publications de ces nouvelles institutions (par exemple les Documents inédits de l’histoire de France) se distinguaient de leurs homologues étrangères comme les Monumenta Germaniae historica en Allemagne, par leur ouverture marquée à l’époque moderne la plus récente. L’ambition était bien de relier le passé le plus ancien de la mémoire nationale avec le présent. Dès novembre 1833, Guizot demandait aux préfets de faire rechercher dans les bibliothèques publiques et les archives départementales et communales « les manuscrits qui ont rapport à notre histoire nationale ». Il éprouvait ce faisant le même sentiment d’urgence qui l’avait poussé à créer, en octobre 1830 lors de son bref passage au ministère de l’Intérieur, un poste d’inspecteur des monuments historiques en faveur de Ludovic Vitet : « Notre histoire, avant 1789, est en quelque sorte pour nous de l’histoire ancienne. […] Il importe de se presser si l’on veut jouir de ces monuments. l’intelligence en sera perdue bientôt, de même que les monuments matériels disparaîtront. »

L’indispensable concours de l’École des chartes

Rien de tout cela n’aurait été possible sans le concours de l’École des chartes et de ses élèves. Cette école spéciale, créée en 1821 puis réformée en 1829, avait été incluse dans le périmètre de compétences du nouveau ministre dès 1832. Elle constitua rapidement une pièce maîtresse du nouveau dispositif institué par Guizot et plusieurs archivistes paléographes en constituèrent le ciment humain et intellectuel majoritaire, au point d’être qualifiés plus tard de « guizotins ». Dès 1834, deux d’entre eux furent nommés pour la première fois à la tête d’archives départementales (Vienne et Rhône), où s’imposa bientôt le principe du respect des fonds, prôné par une circulaire du 24 avril 1841 ; celle-ci avait été conçue par des proches de Guizot, Natalis de Wailly, son ancien chef de cabinet à l’Intérieur, et Tanneguy Duchâtel, ministre de l’Intérieur et l’un de ses amis. Guizot ne fut pas à l’origine directe de la profonde réforme de l’École des chartes par l’ordonnance du 31 décembre 1846 qui lui donnait un directeur en titre, une bibliothèque, un programme de cours rénové et l’obligation de la réalisation d’un travail de recherche (thèse). Mais toutes ces initiatives n’étaient que la suite logique des créations scientifiques et institutionnelles auxquelles François Guizot avait donné une impulsion décisive et sensible encore aujourd’hui.

À lire :

Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, Gallimard, 1985.

Christian AMALVI (dir.), Les lieux de l’histoire, Armand Colin, 2005.

Laurent THEIS, François Guizot, Fayard, 2008.

Odile PARSIS-BARUBE, La province antiquaire. L’invention de l’histoire locale en France (1800-1870), CTHS, 2011.

Jean-Charles BEDAGUE, Michelle BUBENICEK et Olivier PONCET, L’École nationale des chartes. Deux cents ans au service de l’histoire, Paris, Gallimard- École nationale des chartes, 2020.

Crédits images :

Léon Leymonnerye, Archcives du Royaume rue du Chaume [École des Chartes, rue du Chaume (actuelle rue des Archives), 3ème arrondissement, Paris], 1846  © Paris Musées Collections

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