Fondation de la Bourse de Paris

RETOUR AU DOSSIER

Par Éric Roulet, professeur d'histoire des Universités en histoire moderne à l'université du Littoral-Côte d'Opale


La première bourse de valeur est établie à Amsterdam en 1611 pour faciliter les échanges des actions de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, ou VOC. Elle fait rapidement figure de modèle en Angleterre et en France où, à la même époque, se multiplient les compagnies par actions pour soutenir les efforts commerciaux et coloniaux de leurs gouvernements respectifs.

La banqueroute de Law : un événement déclencheur

Au début du XVIIIe siècle, plusieurs voix s’élèvent en France pour réclamer un lieu pour échanger et coter tous les papiers et titres négociables, qui pour l’heure passent de main en main au siège des compagnies, des études notariales ou au domicile des particuliers, sans grand contrôle et dans une certaine opacité. Les désordres qui s’ensuivent dans les rues de Paris, notamment rue Quincampoix, au moment de la spéculation sur les billets d’État et les actions de la Compagnie d’Occident supportée par John Law, conduisent en 1720 le duc d’Orléans et régent du royaume au nom du jeune Louis XV, à ne permettre les transactions que dans un lieu unique, l’hôtel de Soissons, dans l’espoir de reprendre le contrôle de la situation. En vain. Mais un premier pas est franchi. Afin de rétablir le système financier et la confiance, la monarchie se propose une fois la crise passée d’encadrer le marché.

Le 24 septembre 1724, la Bourse de Paris est officiellement établie par un arrêt du Conseil dans un bâtiment spécialement dédié rue Vivienne : l’hôtel de Nevers, pour traiter les affaires de commerce, et négocier les lettres de change, les billets au porteur ou à ordre « à l’exclusion de tous autres lieux ». Son accès est réservé aux seules personnes autorisées, françaises ou étrangères, qui devront présenter une marque aux gardes qui sont à la porte principale pour pouvoir entrer. Les femmes en sont exclues. Les particuliers surpris à faire des transactions dans des lieux privés ou publics seront poursuivis promet-on. Il revient au lieutenant de police de Paris de surveiller les alentours de la Bourse et de prévenir tout attroupement.

Spéculer sans se bousculer

Tous les aspects du fonctionnement de la Bourse sont évoqués dans l’arrêt, à commencer par un qui pour anecdotique qu’il puisse paraitre n’en n’est pas moins essentiel, les horaires d’ouverture : la Bourse sera ouverte tous les jours, exceptés les jours de dimanches et fêtes, de dix heures du matin jusqu’à une heure de l’après-midi. Les affaires doivent se négocier dans le calme, il ne saurait être question de faire des annonces à voix haute ou des signes « pour en hausser ou baisser le prix » et perturber le bon déroulement des séances. Les lettres de change, les billets au porteur ou à ordre et les marchandises peuvent se négocier librement, mais il en va autrement des « effets et papiers commerçables », qui nécessitent l’entremise de deux agents de change, banque et commerce, comme on les appelle à cette époque. Le marché à terme est interdit. Les particuliers doivent remettre entre les mains des agents de change l’argent ou les effets « à peine de nullité ». Il s’agit dans l’esprit de la monarchie d’éviter de nouvelles dérives spéculatives. Mais les actions sont peu nombreuses à cette époque et ne concernent que la Compagnie des Indes.

Les agents de change, maîtres de la Bourse

Les agents de change occupent de ce fait une place centrale dans l’organisation de la Bourse. Une grande attention est prêtée à leur recrutement. Ils doivent avoir plus de vingt-cinq ans, être catholiques et français. Ils doivent être probes – tous ceux qui ont fait faillite sont écartés – et irréprochables – ils font l’objet d’une enquête de moralité. Une commission de dix notables est établie pour examiner les candidats à cette charge. L’arrêt du Conseil du 14 octobre 1724 nomme les soixante premiers agents de change. Ils prêtent serment entre les mains du lieutenant général civil. Ce sont des hommes contrôlés. Ils doivent noter sur des registres les opérations réalisées.

L’organisation de la Bourse de Paris est revue le 30 mars 1774. Les titres doivent désormais être négociés à la criée afin d’éviter les arrangements en sous-main, et un espace est réservé aux seuls agents de change pour mener leurs opérations : le parquet. En 1794, en pleine tourmente révolutionnaire, la Bourse de Paris est fermée. Elle connaitra quelques périodes de réouverture ponctuelles ensuite avant d’être consacrée au début du XIXe siècle comme le lieu incontournable du financement de l’activité économique.

À lire :

Paul LAGNEAU-YMONET (éd.), Histoire de la Bourse, Paris, La Découverte, 2012.

Jean-Marie THIVEAUD, « La Bourse de Paris et les compagnies financières entre marché primaire et marché à terme au XVIIIe siècle (1695-1794) », Revue d’économie financière, 47, 1998, p. 21-46.

Eric ROULET (éd.), La naissance du marché des valeurs en France. L’achat et la vente des actions (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Classiques Garnier, 2024.

Crédits images :

Illustration d’accueil : Scène allégorique avec au centre la Fortune : éventail converti en tableau encadré [peinture], XVIIIe siècle © Gallica/BnF

Illustration du chapô : Vue artistique de l’hôtel de Nevers avant démolition partielle, L’Illustration, 1868 © Wikimedia Commons 

Illustration de l’article : Le Palais Mazarin, l’Hôtel Colbert et la Bibliothèque du Roy [gravure], XVIIe siècle © Gallica/BnF

Retour en haut