Marcel Pagnol, homme de théâtre

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Par Jérémy Coquin, docteur en littérature française


L’œuvre de Marcel Pagnol est très variée bien qu’une grande partie ne soit en réalité que très peu connue du grand public. Il est surtout célèbre pour ses films et ses romans tardifs adaptés à l’écran après sa mort. Pourtant, cet art du dialogue qui compose ses films et en partie ses romans s’est d’abord présenté au public sur les planches car, avant cela, le cinéma était muet. C’est avec la naissance du parlant et l’adaptation de ses pièces que sont Topaze et Marius que Pagnol a conquis un large public.

Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le théâtre de Pagnol, en dehors de ses deux succès, ne ressemble pas à ses autres films célèbres pour ne citer que La Femme du boulanger ou La Fille du puisatier. Sa première œuvre de jeunesse, Catulle, publiée dans sa revue Fortunio (1922), est une pièce en vers. Avant d’être un auteur d’une œuvre devenue populaire, Pagnol a surtout cherché à être un auteur que l’on pourrait qualifier de littéraire. C’est d’ailleurs un ton que l’on retrouvera dans d’autres de ses pièces comme Jazz (1926) ou Judas (1955), deux drames particulièrement poignants. Mais il a également composé des pièces plus légères, comme Topaze (1928) ou Fabien (1956), deux comédies qui ont vocation à avoir un public plus large. C’est surtout grâce à Marius (1929) et Fanny (1931) qu’il rencontre le succès en mettant en scène des personnages provençaux et qui ont l’accent du sud. Etonnamment, bien qu’elles comportent de nombreuses scènes comiques et qui ont permis également son succès, ses deux pièces n’en demeurent pas moins des drames. Pagnol mélange les genres et les styles au point de les mêler habilement, et c’est cette recette qui fera son succès futur à l’écran en tant que scénariste et réalisateur. Après Fanny et son adaptation cinématographique en 1932, il se concentre sur cet art nouveau, la caméra et le micro lui permettant de sortir du théâtre et ainsi mettre en scène ses personnages en situation dans un décor réel. D’ailleurs, il s’entoure souvent des mêmes acteurs pour ne citer que Raimu, Orane Demazis ou encore Charpin. César, le dernier volet de sa pièce maîtresse La Trilogie marseillaise, pensée d’abord comme une pièce, ne passe même pas par les planches et est ainsi directement créée à l’écran en 1936. L’œuvre connaîtra pourtant une adaptation au théâtre en 1946, sans Raimu, qui décède malheureusement quelques semaines avant la représentation. Ainsi, Pagnol est devenu l’auteur des drames de villages qui, avec ses personnages fort de caractère, nous fait rire devant une toile au point de nous faire oublier ses pièces les plus dramatiques, bien qu’il n’ait jamais vraiment abandonné le théâtre.

Il est d’ailleurs difficile de trouver une cohérence entre toutes ses pièces tant elles sont différentes en termes de genres ou de ton. Cependant, en y regardant de plus près, ce sont les questionnements d’ordre moral qui semblent être l’élément commun à toute son œuvre, y compris romanesque. Ceux-ci sont déjà présents dans sa première pièce, Les Marchands de gloire (1925), co-écrite avec Paul Nivoix. En effet, le dilemme que rencontre le personnage principal (Bachelet) est, par exemple, une des caractéristiques de son œuvre que l’on retrouvera dans toutes ses pièces malgré leurs différents genres et, plus tard, dans nombre de ses films. Ceux-ci étants intéressants surtout pour leurs dialogues, il est même fort à parier que Pagnol n’aurait pas eu la même carrière s’il n’avait pas été dramaturge. Et pourtant, son œuvre théâtrale demeure peu connue au point que certaines pièces ont pu tomber dans l’oubli.

Cependant, du fait que l’œuvre de Pagnol connaisse toujours un grand succès même cinquante ans après sa mort et que ses films en noir et blanc résistent et s’adaptent à l’évolution technologique de notre temps, certaines de ses pièces commencent à ressurgir. L’adaptation récente de Jazz ou celle de Gaby (pièce inédite) en bande dessinée permet au grand public de découvrir un Marcel Pagnol moins attaché à ses personnages provençaux. Récemment, Fabien a également connu une nouvelle mise en scène tout comme Marius, sans oublier les adaptations pour le théâtre de ses films comme Cigalon, Naïs ou Le Schpountz, qui jaillissent pour le bonheur du public. Ainsi, si le théâtre de Pagnol n’est que peu connu, sa diversité ne peut qu’inspirer les metteurs en scènes à faire redécouvrir son œuvre sur les planches.

En 1964, Pagnol commence à publier ses Œuvres complètes, notamment son théâtre qui est toujours édité en livre de poche. Ses pièces sont présentées avec des préfaces qu’il rédige lui-même et, à la manière de « petits romans » (en référence à Bernard de Fallois qui les publie à nouveau en 1995), il nous raconte la naissance de son œuvre. Mais surtout, il réécrit en partie ses pièces, notamment les Marchands de gloire avec un style qu’on lui connaît plus, et réinvente en partie sa Trilogie Marseillaise. Ainsi, ce monument de la culture populaire né au théâtre a connu plusieurs versions et a donc été de sa main une œuvre constamment mouvante. Sans oublier les adaptations d’autres réalisateurs et metteurs en scène, son œuvre connaît toujours un grand succès, et c’est pourquoi son théâtre dans sa globalité mériterait une plus grande attention.

À lire : 

Jérémy Coquin, La Dramaturgie de Marcel Pagnol. Des premières publications (Éditions de « Fortunio » , 1922) aux réécritures des Œuvres complètes (Éditions de Provence, 1968), thèse de doctorat soutenue en mars 2021, Aix-Marseille Université.

Jérémy Coquin, « Le stoïcisme dans le théâtre de Marcel Pagnol. Le bonheur ou la vertu », Sénèque tragique et sa réception dans le théâtre européen, Presses universitaires de Provence, Collection « textuelles », 2023.

Karine Hann, Marcel Pagnol. Un autre regard, Monaco, Éditions du Rocher, 2014.

 

Crédits images :

Mise en scène de la pièce de théâtre Jazz de Marcel Pagnol © Collection privée de la famille Pagnol

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