Les Jeux de 1924, reflets de la montée des « nationalismes sportifs » ?

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Article d'Olivier Chovaux, professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Artois


Six ans après la fin de la Grande guerre, les Jeux de 1924 rassemblent trois-mille athlètes représentant plus de quarante nations. Si l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie et la Turquie participent aux compétitions, l’Allemagne, considérée comme responsable du déclenchement du conflit, en reste bannie.

L’organisation des Jeux de Paris de 2024 est l’occasion d’évoquer la dimension mémorielle propre à chacune des olympiades. Sans que l’on puisse ici trouver une quelconque forme « d’héritage », tant les contextes et les formats des compétitions diffèrent, les Jeux de la XXXIIIe olympiade coïncident avec le centenaire des Jeux Olympiques de 1924, qui se sont également tenus à Paris.

De 1900 à 1924, l’évolution des pratiques

Les Jeux de 1900 avaient vu les épreuves olympiques se dérouler dans le cadre de l’exposition universelle et des « concours internationaux d’exercices physiques et de sports », dont l’organisation avait été confiée à l’USFSA. Après le fiasco de cette édition, le choix de la France pour 1924 s’inscrit dans une tout autre dimension.

Ces deuxièmes Jeux de l’entre-deux-guerres, après l’édition d’Anvers en 1920, illustrent les changements profonds des pratiques et du spectacle sportif observés au cours du premier XXe siècle : les compétitions internationales, quelles qu’elles soient, voient le nombre de nations engagées augmenter ; la presse et la TSF s’en font régulièrement l’écho et le nombre de spectateurs qui se pressent dans les stades est de plus en plus nombreux ; la question de « l’amateurisme intégral » se pose désormais avec acuité pour certaines disciplines « populaires » comme la boxe, le cyclisme, le football-association, ou encore l’athlétisme.

Organisés en France, les Jeux olympiques d’été de Paris en 1924 marquent la réintégration des nations bannies en 1920, à l’exception toutefois de l’Allemagne. Sortie exsangue du premier conflit mondial, la France voit dans cette olympiade l’un des moyens de réaffirmer son rang sur la scène internationale, au moment où les États-Unis triomphent dans de nombreux domaines. Encore Président du CIO, Pierre de Coubertin affirmera lors de son discours de clôture que la France aura été une « bonne et somptueuse prêtresse de l’Olympisme ». À cette occasion, la symbolique qui est aujourd’hui celle de chaque olympiade est adoptée : devise olympique, lever des drapeaux lors de la cérémonie de clôture. Près de trois-mille athlètes représentant plus de quarante nations s’affrontent dans une centaine d’épreuves qui se déroulent au stade de Colombes et à la piscine des Tourelles, spécialement aménagés pour l’occasion.

Compétitions internationales et relations diplomatiques

Si le climat diplomatique est au pacifisme, les compétitions et les palmarès en nombre de médailles obtenues par nations confirment la montée en puissance des USA, même si la « vieille Europe » lui tient encore la dragée haute avec vingt-six nations engagées. En dépit de l’arrivée au pouvoir de Mussolini en Italie en octobre 1922, cette VIIIe olympiade n’est pas encore un lieu d’expression privilégié des nationalismes, à l’inverse des Jeux de Berlin en 1936. Cette édition de 1924 montre cependant les liens étroits qui se tissent désormais entre les grandes compétitions internationales et le jeu des relations diplomatiques entre les nations : si l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie et la nouvelle Turquie sont bien réintégrées, la toute jeune République de Weimar n’est pas invitée par le comité d’organisation. Dans un tout autre registre, la participation de l’Équateur, de la Lituanie, des Philippines, de l’Uruguay ou encore de la Pologne et de la Lettonie (déjà présentes à Chamonix quelques mois auparavant) montrent que l’hégémonie européenne tend à s’estomper : preuve non seulement du succès des Jeux, mais également d’une nouvelle donne géopolitique qui voit émerger de « petites nations » sur la scène internationale, désormais visibles au plan sportif.

À Chamonix, la première édition des Jeux d’hiver

En amont de ces Jeux d’été, l’organisation à Chamonix d’une « semaine internationale des sports d’hiver » en janvier-février témoigne également de la volonté du CIO d’élargir le spectre des disciplines olympiques et d’inscrire chaque olympiade dans une double temporalité, celle de l’été et de l’hiver. En dépit des réticences des pays scandinaves qui organisent déjà leurs propres « jeux nordiques » depuis 1901, ce qui sera a posteriori présenté comme la première édition des « Jeux olympiques d’hiver » rassemble près de deux-cent-cinquante athlètes issus de seize nations différentes, qui s’affrontent au cours de neuf épreuves. Si la France se classe avant-dernière au plan des médailles, loin derrière les pays scandinaves (Norvège et Finlande notamment), ce moment particulier de l’histoire de l’olympisme souligne l’émergence d’un tourisme hivernal encore réservé aux élites, et la nécessité pour les premières stations de sports d’hiver de se doter d’infrastructures adaptées, par la mise en œuvre de politiques sportives municipales, avant que l’État, dans les années 1950, ne prenne véritablement le relais.

En se classant au troisième rang des nations engagées (trente-huit médailles au total, pour une délégation de quatre-cents athlètes), la patrie de Pierre de Coubertin montre autant sa capacité à organiser des Jeux d’envergure internationale que ses prétentions à figurer parmi les grandes nations sportives de l’entre-deux-guerres.

Crédits images :

Jean Droit, Affiche Jeux Olympiques, Paris, 1924© PVDE/Bridgeman Images

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