Première exposition des artistes « impressionnistes »

RETOUR AU DOSSIER

Par Dominique Lobstein, historien de l’art, ancien responsable de la bibliothèque du musée d’Orsay


– Ah ! le voilà, le voilà ! s’écria-t-il devant le n°98. Je le reconnais le favori de papa Vincent ! Que représente cette toile ? Voyez au livret.
– « Impression, Soleil levant. »

– Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans…

Louis Leroy, « L’exposition des impressionnistes », Charivari du 25 avril 1874

En 1791, le Salon, domaine réservé jusqu’alors aux seuls académiciens, devient accessible à tous. L’afflux des artistes et des œuvres oblige à mettre en place un jury chargé de sélectionner les œuvres recevables et, bientôt, de les récompenser. Presque aussitôt, s’élèvent des contestations dont l’ampleur ne cessera d’augmenter. Les artistes ne se contentent pas de recours auprès des instances artistiques mais vont être à l’origine de manifestations parallèles, réunion d’artistes et d’œuvres dans un atelier dont la presse relaie l’existence.

La tutelle de l’Académie

Ces marques d’indépendance connaissent un prolongement dans le premier Salon des Refusés de 1863 qui ouvre ses portes le 15 mai, dans le « Salon annexe » du Palais de l’Industrie. Voulue par Napoléon III, cette exposition a pour but de remettre au pas l’Académie des Beaux-Arts, qui conteste alors la réforme de l’École des Beaux-Arts soutenue par le souverain. Celui-ci riposte en attaquant l’Académie sur un autre front : son rôle dans le jury du Salon dominé par ses membres.

L’expérience est peu concluante. Les refusés craignant les conséquences de cet acte de force renoncent à se présenter. Le nombre de participants est réduit – sur plus de 5000 œuvres déposées, 3000 ont été refusées et seulement 781 figurent au Salon-annexe – et rares seront les œuvres, telles celles de Fantin-Latour, d’Édouard Manet ou de Camille Pissarro, qui passeront à la postérité. En 1864, un autre Salon des Refusés, pudiquement dénommé des « ouvrages non admis aux concours des récompenses », a de nouveau lieu : moins d’artistes encore y participent.

L’Académie a toutefois entendu le reproche et se montre moins sévère, réintégrant un bon nombre de refusés, dont les trois précédemment cités. Ce relatif adoucissement des conditions d’accès va profiter à quelques jeunes artistes : Frédéric Bazille, Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, entre autres, qu’on réunit parfois sous le nom de Groupe des Batignolles. Même s’ils sont admis sur les cimaises officielles, ils rêvent néanmoins d’indépendance et, dès 1867 n’hésitent pas à faire part publiquement de leurs souhaits.

La crise de 1870

La défaite de 1870 et la mise en place d’une nouvelle République font renaître l’enthousiasme qui avait prévalu chez les artistes après 1848. Le nouveau gouvernement du maréchal de Mac-Mahon ne répond pas à ces espoirs : aucun train de commande n’est mis en place pour les soutenir, aucun Salon sans jury n’est envisagé et, en 1872, la reprise de l’activité artistique n’est guère soutenue. Le Salon est le premier à en souffrir. Le Palais de l’Industrie, qui accueille la manifestation officielle, est alors amputé d’une moitié de ses salles afin de loger les services du ministère des Finances. Conséquence immédiate, le nombre des admis passe de 3429, en 1870, à 1529, en 1872 et 1539, en 1873. Les premières victimes – malgré l’instauration d’un nouveau Salon des refusés, en 1873 – en sont les jeunes artistes et ceux qui, n’étant pas passés par l’École des Beaux-Arts, n’ont aucun juré pour les soutenir.

Le journaliste Paul Alexis, dans ses articles de L’Avenir national de mai 1873, soutient les jeunes artistes refusés. Dans le numéro du 12 mai, Monet assisté de ses amis Pissarro, Jongkind, Sisley, etc., lui répond et évoque « la société que nous sommes en train de former ».

Le temps de l’émancipation

L’acte fondateur de cette société date du 27 décembre 1873. Sous le nom de « Société des artistes peintres, sculpteurs, graveurs et lithographes », elle se propose d’assumer un triple rôle : 1° organiser des expositions libres sans jury ni récompenses ; 2° vendre les œuvres exposées ; 3° publier un journal consacré aux beaux-arts. Le premier but est atteint lorsque ouvre leur première exposition, le 15 avril 1874, dans les locaux du boulevard des Capucines laissés libres par le photographe Nadar. Le livret, publié pour l’occasion, répertorie 31 artistes et 168 œuvres, auxquelles d’autres se sont ajoutées en cours d’accrochage. Il s’agit de la première des huit expositions qui vont se succéder jusqu’en 1886, chacune ayant sa physionomie particulière. Cette première exposition est la plus éclectique, accueillant des exposants du Salon (Eugène Boudin, Giuseppe de Nittis, etc.), des refusés (Édouard Béliard, Édouard Brandon, etc.) et ces jeunes indépendants qui demeureront le pivot des futures expositions (Edgar Degas, Monet, Berthe Morisot, Pissarro, Renoir ou Sisley). La presse contemporaine les appelle les « révoltés » (Émile Cardon dans La Presse), les « intransigeants » (Polday dans La Renaissance littéraire et artistique) ou parle aussi d’une « exposition libre (Le pelletier dans Le Patriote français). Mais c’est le terme d’« impressionniste » (Louis Leroy dans Le Charivari et Castagnary dans Le Siècle) qui passera à la postérité.

À lire :

Sylvie PATRY et Anne ROBBINS (dir.), Paris 1874. Abécédaire impressionniste, Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais / Musée d’Orsay, 2024

Impression soleil levant. L’histoire vraie du chef-d’oeuvre de Claude Monet, catalogue de l’exposition : Paris, Musée Marmottan Monet, 18 septembre 2014-18 janvier 2015, Paris, Musée Marmottan Monet, Éditions Hazan, 2014

Paris 1874. Inventer l’impressionnisme, catalogue de l’exposition : Paris, Musée d’Orsay, 26 mars-14 juillet 2024, Paris, Musée d’Orsay, Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais, 2024

Crédits images :

Bannière de la page d’accueil : Camille Pissarro, Un bouvier à Valhermeil, Auvers-sur-Oise, 1874 © The Met Museum

Illustration du chapô : Photographie de l’atelier Nadar 35 Boulevard Des Capucines, issue de l’ouvrage Nadar de Nigel Gosling, 1860 © Wikimedia Commons

Bannière de l’article : Camille-Léopold Cabaillot-Lassalle, Le Salon de 1874, 1874 © Wikimedia Commons

Illustration en bas de page : Claude Monet, Impression. Soleil levant, 1872 © Musée Marmottan-Monet

Retour en haut