Réflexion sur la puissance motrice du feu de Sadi Carnot

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Par Gilles Bertrand, professeur émérite à l’université de Bourgogne, président du conseil scientifique de l’Académie François Bourdon


Fils de Lazare Marguerite Carnot, ingénieur militaire, et frère d’Hippolyte Carnot, qui fut ministre de l’instruction publique en 1848, Sadi Carnot partage avec ce dernier le double héritage intellectuel et moral de la vocation savante et du service de l’État. En juin 1821, Sadi, alors âgé de 25 ans, est autorisé à rendre visite pour quelques mois à son père, exilé à Magdebourg à la suite de l’épisode des Cent-Jours. Est-ce de là, ville engagée dans le développement des machines thermiques, et au contact de son père, que lui vient son orientation ?

1824 : l’ouvrage fondateur… le seul

Dès l’automne 1821, cet ingénieur diplômé de l’École polytechnique présente un exposé aux anciens de l’X, « Recherche d’une formule propre à représenter la puissance motrice de la vapeur », non publié, mais dont le manuscrit a été retrouvé en 1966. À la mort de son père, en août 1823, son frère Hippolyte rentre à Paris et l’aide à rédiger ses écrits « afin de s’assurer qu’ils seraient compris par des personnes vouées à d’autres études ».

L’essentiel de l’œuvre scientifique de Sadi Carnot tient dans cet ouvrage de 118 pages publié en 1824 à compte d’auteur par A.-J.-E. Guiraudet Saint-Amé (X 1811) avec mention de la maison Bachelier et tiré à 600 exemplaires (facture du 2 juin 1824) : Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance.

Sadi Carnot formule dans cet ouvrage l’exposé raisonné du moteur thermique et les principes de base selon lesquels toute centrale énergétique, tout moteur à explosion ou à réaction est aujourd’hui conçu. Plus remarquable, cette genèse se fait alors qu’aucun prédécesseur n’avait encore défini la nature et l’étendue du sujet. En s’appuyant sur des préoccupations purement techniciennes, comme l’amélioration des performances de la machine à vapeur, le cheminement intellectuel de Sadi Carnot est original et annonce des évolutions importantes qui intervinrent à cette époque charnière pour la science moderne.

Il y pose les bases d’une discipline entièrement nouvelle, la thermodynamique. À l’époque d’ailleurs, le terme n’existait pas : c’est William Thomson qui l’invente au milieu du XIXe siècle. Pourtant, c’est bien Sadi Carnot, malgré certains concepts erronés (son acceptation de la théorie du calorique et de la conservation de la chaleur), qui a découvert cette science aussi fondamentale du point de vue théorique que féconde en applications pratiques.

Après 1824, l’insatisfaction et le doute

L’ouvrage reçoit un accueil honorable, y compris à l’Académie des sciences où l’académicien Pierre-Simon Girard présente les travaux de Carnot à la séance du 14 juin 1824 et en fait un compte-rendu analytique en date du 26 juillet 1824… Mais il n’y a pas de suites. À l’exception de Clément-Desormes, professeur au Conservatoire des arts et métiers (voir l’article 1 de la rubrique « Approfondir »), qui, dans une conférence donnée le 25 janvier 1825, recommande à ses auditeurs de lire l’ouvrage, les physiciens et autres scientifiques sont sans doute déroutés par des raisonnements fondamentaux sans développements mathématiques qui posent des principes pour la machine à vapeur. L’ouvrage est aussi destiné aux ingénieurs, mais les affirmations théoriques et abstraites de Carnot y ont peu d’écho.

En octobre 1824, Sadi doit retourner à ses fonctions de lieutenant d’état-major et réalise des travaux topographiques, d’abord sur une route près de Coulommiers, puis en 1825 sur une autre route près de Villeparisis. Le 31 décembre 1825, il est détaché en garnison à Thionville. Sadi obtient fin 1826 un congé qui dure jusqu’au 15 septembre 1827 ; il est alors envoyé à Lyon puis à Auxonne, une ancienne place forte de Côte-d’Or, et est promu au grade de capitaine en second du génie. Finalement, en mai 1928, sa démission est acceptée. Sadi peut maintenant rejoindre Paris et se consacrer à une vie d’études et de recherches personnelles.

Derniers travaux

Sa nouvelle vie exempte de fougue et de dynamisme lui est sans doute rendue nécessaire par un mauvais état de santé. Interrogé sur sa profession par Ambroise Fourcy, bibliothécaire de l’École, pour son Histoire de l’École polytechnique parue en 1828, Sadi Carnot se déclare « constructeur de machines à vapeur ». Pourtant son nom ne figure dans aucune liste de fabricants. Le 17 août 1830, est créée l’Association polytechnique qui regroupe d’anciens élèves de l’École et à laquelle Sadi Carnot adhère immédiatement. Il accueille avec enthousiasme la Révolution de 1830 mais est rapidement déçu.

En 1831, après la parution de deux mémoires de Pierre Louis Dulong , l’un sur la chaleur spécifique des fluides élastiques, l’autre sur les forces élastiques de la vapeur d’eau à de hautes températures avec Arago, il reprend ses travaux sur les propriétés physiques des gaz et des vapeurs, et spécialement la relation entre leur température et leur pression. Cette même année, il a un accès de fièvre scarlatine et tombe gravement malade, avec des crises de délire pendant un certain temps. En avril 1832, la Revue encyclopédique rend compte des travaux du baron Blein (ancien général d’Empire qui écrira des mémoires sur l’acoustique et l’harmonie entre 1825 et 1832) dans un article signé S.C., vraisemblablement Sadi Carnot, bon musicien également. Le 3 août, Sadi Carnot est admis à la maison de santé du médecin aliéniste Jean-Étienne Esquirol à Ivry-sur-Seine où celui-ci diagnostique la manie, c’est-à-dire le délire généralisé avec excitation. Peu après, le registre de la maison de santé d’Ivry indique « guéri de sa manie, mort le 24 août 1832 du choléra ».

Sadi Carnot est mort sans avoir eu la satisfaction de se sentir compris. Les obsèques civiles sont célébrées dans l’intimité. Il est enterré au cimetière ancien d’Ivry-sur-Seine. Après sa mort, ses effets personnels (comprenant ses écrits et documents) sont brûlés pour prévenir la propagation de la maladie mais bizarrement, tout n’a pas disparu. Aujourd’hui son nom est illustre et peut figurer avec honneur à côté de celui de son père.

Sources :

“Sadi Carnot (physicien)” sur le site Wikipédia, consulté le 03/05/2024 URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sadi_Carnot_(physicien)

Joel CHEVRIER, « Sadi Carnot face à la fin de la civilisation thermo-industrielle », Encyclopédie de l’énergie, 2020

Crédits images :

Illustration d’accueil : Winslow Homer, Camp Fire, 1880 © Wikimedia Commons

Illustration du chapô :  Louis-Léopold Boilly, Sadi Carnot avec l’uniforme de l’Ecole polytechnique, 1813 © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : Velázquez, La Fragua de Vulcano, 1630, Museo del Prado © Wikimedia Commons

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